La démission est classiquement analysée par le juge comme étant un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste « de façon claire et non équivoque » sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
De ce fait, les juges ont toujours considéré que celle-ci ne pouvait pas se présumer.
Tel était classiquement le cas de l’abandon de poste : « en l’absence de volonté claire et non équivoque du salarié de démissionner, il appartient à l’employeur qui lui reproche un abandon de poste de le licencier » (Cass. Soc. 10 juillet 2002 – n° 00-45.566)
Parfois, mais rarement, la démission implicite a pu être retenue au vu de circonstances particulières, mais toujours à la condition que soit démontrée une réelle intention de démissionner du salarié qui devait nécessairement apparaitre comme « sérieuse et non équivoque ».
Ce sont ces principes pourtant constants de nature à préserver le salarié qui sont actuellement remis en cause.
En effet, dans le cadre des discussions en cours sur le projet de Loi sur le fonctionnement du marché du travail en vu du plein-emploi, un amendement a été déposé le 30 septembre 2022 remettant en cause ces principes:
« Art. L. 1237-1-1. – Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure à cette fin, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, est présumé démissionnaire. Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes.
« L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine.
« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’exécution du présent article.».
Dans son exposé, il précise que:
- « L’objectif est de limiter le recours des salariés à la pratique de l’abandon de poste lorsqu’ils souhaitent que leur relation de travail cesse, tout en étant indemnisé par l’assurance chômage. »
Une fois de plus, des considérations d’ordre économique viennent bouleverser nos principes de droits et notamment des principes aussi fondamentaux que :.
- La présomption de la bonne foi visée à l’Article 2274 Code Civil « La bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver ».
- La présomption d’innocence visée à l’Article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et à l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
En prévoyant son exclusion de principe au régime d’assurance chômage, le salarié qui, absent de son poste pour quelques raisons que ce soit, est don présumé vouloir « profiter» du système du Chômage et donc de mauvaise foi puisqu’on suppose que son intention était de quitter un emploi dans le seul but de bénéficier du chômage.
Il est ajouté que :
- « Cet amendement a pour objet d’instaurer une présomption simple de démission du salarié quand ce dernier quitte son poste volontairement. »
La question de la charge de la preuve de cette intention est abordée : il appartiendra au salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette démission légalement présumée, de la contester en saisissant le conseil de prud’hommes selon une procédure accélérée.
Alors que l’Article 1382 code Civil prévoit en principe que« Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi, sont laissées à l’appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si elles sont graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet la preuve par tout moyen», il appartiendra au juge saisi d’apprécier la réelle intention du salarié.
S’agissant d’une présomption simple, la preuve contraire pourra être apportée par tous moyens.
Mais la difficulté pour le salarié sera évidemment de pouvoir démontrer qu’elle était son intention « réelle » et devra démontrer sa «bonne foi » en ne se présentant plus à son poste,
Sauf à pouvoir démontrer l’existence de « raisons de santé ou sécurité » exclues par cet amendement de l’application de la démission présumée, exclusions dont on ne sait si elle sera limitativement appréciée par le juge… .
La preuve d’une « non-intention » sera évidemment difficile à apporter
Par ailleurs, l’employeur, qui prendra acte d’une telle démission présumée courra évidemment le risque de voir cette rupture mise à sa charge en cas de succès de l’action judiciaire du salarié.
En effet, sauf à appliquer les règles relatives à la prise d’acte (démission lorsque les griefs invoqués contre l’employeur ne sont pas fondés/ effets d’un licenciement abusif si les griefs invoqués contre l’employeur sont fondés) si cette démission était rétroactivement requalifiée et en l’absence de lettre de licenciement, la rupture ne pourrait qu’être analysée en un licenciement sans cause.
Si un tel amendement venait à être retenu, nous ne pourrions que conseiller:
- Au salarié : de conserver les preuves, au moment de son « abandon de poste » de la réalité de son « intention »…
- A l’employeur: de licencier tout de même le salarié afin d’éviter les risques d’une requalification ultérieure de la démission présumée.